Le Loup a bien mangé le Petit Chaperon Rouge. Enfin, “mangé”. Tout le monde sait ce qui se cache derrière ce mot maintenant, non ?

Loup est une star montante du cinéma. Tandis qu’il fréquente remises de prix et dîners mondains, Rouge peine à sortir de chez elle par peur de le croiser. Mais lorsqu’elle découvre l’affiche de son prochain film placardée partout à travers la ville, sa colère déborde. C’en est trop. Rouge veut tout brûler. Traiter le feu par le feu pour mieux réécrire l’histoire. Avec son ami Poucet, lui-même à la recherche de ses frères disparus, ils s’élancent dans la forêt où il est dit que leurs récits sommeillent. Mais dans les bois, le loup rôde…

Le Petit Poucet. Hansel et Gretel. Jack et le haricot magique. Les grands classiques des contes de fée européens ont, comme pour beaucoup, bercé mon enfance. Ce sont les premières histoires qu’on m’a lues ; ce sont aussi les premières que j’ai cherché à m’approprier. De tous ces contes, Le Petit Chaperon Rouge de Perrault était mon préféré. Je trouvais son héroïne courageuse, j’adorais le rouge de son chaperon, que j’imaginais très vif. Il y avait quelque chose d’inquiétant dans ces lignes qui, à l’époque, me faisait frissonner sans que je sache réellement pourquoi ; cette jeune fille intrépide qui, malgré les mises en garde, s’aventure seule dans les bois, et ce loup étrangement humain qui vient l’y aborder… Loup qui finira, bien sûr, par la manger. Ce n’est que bien plus tard que la signification de ce frisson, débarrassé des métaphores et du folklore, m’a frappée de plein fouet.

En grandissant, j’ai compris que les femmes ne se font pas manger, mais bien violer, et ce que ça n’arrive pas que dans les livres ; que les Loups, comme ne cesse de le prouver l’actualité, sont aussi banals que réels ; et que malgré tout cela, il reste récurrent de taxer les Chaperons d’hystérie, elles qui arborent pourtant un vêtement rouge, dès lors qu’elles autorisent leur colère à s’exprimer. Pourquoi les déposséder de la sorte de cette émotion, si ce n’est pour les empêcher de se défendre et mieux les réduire au silence ?

J’ai alors, comme auparavant, inventé ma propre version de l’histoire. Mais ici, la colère est le point de départ. Agissant comme un signal d’alarme, elle met le feu aux poudres, simple témoin que des limites ont été dépassées, qu’une situation n’est plus tolérable. Les violences sexistes et sexuelles nous concernent toutes et tous. Il est grand temps de déboulonner la culture du viol et les croyances qui en découlent. De déculpabiliser les Petits Chaperons Rouges des malheurs rencontrés en forêt ; de démystifier les Loups, en même temps qu’on les en rend responsables ; de réhabiliter la colère comme une réaction saine face à un comportement violent. Sans éducation féministe, cela est, je crois, impossible. Contes de Feu est un récit de résilience face au traumatisme, où l’humour, l’amitié et l’envie de vivre prennent le dessus sur tout ce qui fut une fois subi. On y voit l’envers du décor, là où l’horreur et le merveilleux se côtoient pour former le réel. On y voit une jeune femme en colère, portant un sweat à capuche rouge, se réapproprier son histoire. On y voit un point de départ pour un nouvel Il était une fois.

Emma-Jo Beauvallet

Texte et mise en scène : Emma-Jo Beauvallet / interprétation : Emma-Jo Beauvallet, Ludovic Bou, Damien Le Délézir / musique, son et lumières : Romain Mulochau / régie son et lumières : Angélique Guillot / diffusion et production : Claire Boisson

La compagnie

Le Cœur Gros est une compagnie théâtrale professionnelle basée à Angers fondée par Emma-Jo Beauvallet en 2023. Fort.e.s du constat qu’on ne se débarrasse pas d’un cœur gros comme d’un objet encombrant, la littérature, puis le théâtre, se sont imposés comme des espaces où nos cœurs gros, loin d’être des fardeaux, sont au diapason. Nous plaçons alors le texte au centre de chacune de nos créations et souhaitons un théâtre aussi sensible que tonitruant. Raconter des histoires est, pour nous, essentiel.